CHAPITRE 11 - Deuxième partie

« C'est une maladie naturelle à l'homme de croire qu'il possède la vérité.»*

                                                                                                                                                          

 

19 février 2020 – Résidence Hôtel du Val de Sel Dunkerque

Sandrine prend un temps de respiration, tentant d’intégrer les informations anxiogènes que lui livre son père.

- « Tu vois, en 2016 », continue d’expliquer Léon « on connaissait quatre types de virus « », apparus de manière pandémique et contractés par l’homme : les H1N1, H1N2, H2N2 et H3N2. C’est à partir de ces souches virales que nous constituons aujourd’hui notre vaccin pour combattre la grippe. Plus précisément, à partir des virus H1N1 et H3N2. C’est un vaccin dit « trivalent », c’est-à-dire « trois vaccins en un », qui comporte en fait le vaccin contre la grippe « B » et deux vaccins contre la grippe « », soit H1N1 et H3N2. (1)

– …Si j’arrive à bien comprendre tout ce que tu viens de développer », le coupe Sandrine « et si j’ai bien saisi que le vaccin trivalent est basé sur des souches connues, de même famille que l’actuel Covid-19, pourquoi sommes-nous alors tellement surpris par cette nouvelle épidémie et pourquoi semblons-nous si démunis face à l’émergence de ce nouveau coronavirus ? 

–  Ce n’est pas tant une question de souches connues ou non, mais de capacités de production. Le tout est de bien comprendre que si l’on voulait aujourd’hui vacciner la totalité de la planète, il faudrait être capables de créer sept milliards et demi de doses. Sauf que pour l’instant, on ne sait fabriquer environ que trois-cent millions de doses de vaccins dits « trivalents ». (1)

–  Mais enfin, pourquoi si peu ? Pourquoi est-ce que les pays industrialisés, en Occident ou ailleurs, ne peuvent pas produire plus de vaccins que ça ? C’est complètement insensé...Pourquoi sommes-nous si peu préparés ? 

–  C’est une question de décision politique. Cela vient aussi d’un problème de dimensionnement industriel. Nos industries ne sont pas assez grandes ni assez productives pour le nombre d’humains que nous sommes aujourd’hui sur terre. Pour vacciner tout le monde, si tant est que nous trouvions en un temps record le vaccin actif contre un nouveau type de virus, inconnus de nous, il nous faudrait des capacités de production 25 fois plus importantes que celles dont nous disposons actuellement. » (1)

Dans une totale stupeur, Sandrine tente de réfréner les signaux de panique qui submergent son esprit. Son père s’est tu depuis quelques secondes, reprenant probablement son souffle et laissant à sa fille le soin de repositionner toutes les pièces du complexe puzzle qu’il lui livre. Elle perçoit de nouveau le froissement léger de la chemise paternelle et le bruit sec, sur la surface plane de la table basse.

« Tu es toujours là ? 

–  Oui, papa. Je suis là.

–  Toujours seule ? , s’enquiert Léon.

–  Oui. 

–  Très bien. »

Un court silence, qui paraît une éternité. Sandrine discerne les gorgées de liquide que son père avale afin de se réhydrater. Une toux sèche. Un raclement d’arrière-gorge. Le bruissement du cuir lorsque Léon se rassoit dans son fauteuil.

« De ce que l’on sait du virus de la grippe « A », il a une infinité de variantes possibles. Ses mutations peuvent être bien plus dangereuses que celles que nous avons connues jusque là. Il faut savoir, ma chérie, qu’une grippe dite « pandémique » est très différente d’une grippe saisonnière. En général, la grippe pandémique provient d’un animal. Et c’est un virus d’un genre nouveau, qu’on a jamais vu auparavant, et pour lequel il n’existe pas de remède. Quand ce virus inédit se développe chez un animal, nous les êtres humains n’avons aucune sorte d’immunité naturelle contre lui. Notre organisme n’a aucun moyen de combattre l’infection, ce qui explique le fort taux de mortalité en cas d’émergence de ce type de virus là. C’est pour cela que dans le monde entier, les chercheurs essaient de mettre au point un vaccin universel, qui serait efficace contre n’importe quel type de virus de la grippe.(2) Et c’est exactement à cela que je travaille depuis les dernières années ; encore plus ces derniers mois. Mais pour le moment nous n’y sommes pas encore parvenus. »

Sandrine accuse le coup de cette dernière révélation.

« Tu veux dire que vous êtes dans l’impossibilité d’arrêter cette nouvelle épidémie de grippe « A » ? », questionne-t-elle d’une voix fébrile. « Mais pourquoi, puisque tu me dis que vous travaillez à l’élaboration d’un vaccin universel à partir des anciennes souches de grippes aviaires ? Pourquoi vous n’y arrivez pas ?

–  Ma chérie, pour mieux faire la lumière sur ce qu’il se passe et savoir pour quelles raisons le Covid-19 est si difficile à combattre, il faut remonter son historique viral et comprendre de quelles anciennes souches il provient. Tu n’es pas sans savoir que le monde entier a déjà connu de terribles périodes épidémiques ou pandémiques, comme les grandes pestes, la variole ou encore la grippe espagnole de 1918. Mais pour ce qui est du coronavirus et de ses variantes dites « mutantes » tout a commencé avec le « Coronavirus du syndrome respiratoire aigu sévère » appelé aussi « SARSr-CoV » ou encore « SARSr-CoV-». Ce virus de type « A » est notamment responsable de l'épidémie de « SARS », la « pneumonie virulante atypique ». Ce « SRAS », comme nous l’avions rebaptisé en France, a été repéré en Chine en 2002 et s’est répandu jusqu’en 2004 dans plus de 29 pays dans le monde. Près de 8403 cas de SRAS ont été notifiés à l’OMS* en juin 2003, dont 775 décès. (3)

–  Oui, je me souviens que cette épidémie avait fait trembler l’OMS à ce moment-là... 

–  Et à juste titre, car il y a eu depuis d’autres émergences de virus, et cela l’OMS s’en doutait déjà à l’époque. J’en ai pour preuve le « Coronavirus du syndrome respiratoire », découvert en 2012 au Moyen-Orient et qui se trouve être une nouvelle variante de coronavirus, différente du SRAS de 2002. Ce nouveau virus-là a été baptisé « MERS-CoV » mais on lui a donné également d’autres noms comme le « 2012-nCoV » ou encore le « nCoV ».

« nCoV » ?

« Novel coronavirus », ou en langage profane « nouveau coronavirus ». Une version mutante du coronavirus apparu en 2002 en Chine. En général, les différentes variantes de ce coronavirus infectent les chauves-souris et d’autres mammifères comme le cochon ou encore le pangolin, particulièrement apprécié des cuisines chinoises. Sauf que le problème majeur réside dans le fait que certaines des mutations particulièrement agressives, voire léthales, du coronavirus sont transmissibles à l’homme. 

–  Seigneur Dieu... », le coupe Sandrine « et c’est le cas pour le Covid-19 ? Le « nCoV » a muté, puis il est passé des animaux à l’homme et est sorti de Chine pour se répandre partout, n’est-ce-pas ? C’est bien ce qui c’est passé ? 

–  C’est en quelque sorte ce qu’il s’est passé, oui... », confirme Léon en exhalant la fumée de sa cigarette. « Après le « nCoV » est effectivement apparu le « Coronavirus 2 », dit « du syndrome respiratoire aigu sévère ». Son nom de baptême scientifique est le « SARS-CoV-2 ». Ce nouveau virus « A » s’avère être une nouvelle variante de la souche de coronavirus « SARSr-CoV », apparu en Chine en 2002, comme je te l’ai précisé tout à l’heure. En 2019, il a provoqué la maladie dite « à coronavirus 2019 ». En abrégé, cela donne bien le « COVID-19 » auquel nous sommes tous actuellement confrontés. 

–  La cause d’une nouvelle pandémie... , commente Sandrine, atterée par la terrible évidence de sa conclusion.

–  C’est ça ma chérie. C’est difficile à admettre, je le sais, surtout dans une telle circonstance. Mais pour arriver à avancer nous nous devons de regarder en arrière et d’observer nos erreurs. Nous devons accepter le fait que nous avons tous contribué, le sachant ou non, en ayant conscience de nos actes ou pas, à ce que la catastrophe pandémique que nous allons vivre arrive. Le monde occidental, dans la féroce course marchande qu’il se livre, en a oublié sa nature initiale et le caractère primitif auquel il est toujours inconsciemment attaché. Il s’est éloigné des questions primordiales, de son environnement premier. L’homme moderne a oublié d’où il vient, et ce virus est sur le point de le lui rappeler de la manière la plus cruelle et instinctive qui soit. Sauf que son organisme n’y est plus préparé. À force de médications et de chimies, à force de regarder ailleurs et de ne plus observer les changements naturels, de développer de fausses idéologies, de préférer le virtuel ou l’éphémère, il est pris au piège. Et malheureusement le « COVID-19 » est un tout nouveau virus, particulièrement instable. Il peut muter ou devenir particulièrement agressif, à n’importe quel moment, et nous ne le maîtrisons pas… Je me dois de te le dire, Sandrine. Tu as le droit de savoir ce qu’il en est. »

Sandrine, sous le choc, ne sait plus que penser. Les révélations de son père sont assassines. Cependant, au fond de son être s’active la sensation qu’il agit ainsi afin qu’elle puisse se prémunir du danger, du mieux possible. « Pour gagner, il faut toujours connaître son ennemi », avait-il coutume de lui répéter depuis sa plus tendre enfance. Sauf qu’aujourd’hui, même lui ne connaît pas l’ennemi ; invisible, ravageur, peut-être même destructeur.

« Papa… ?

–  Oui, chérie 

–  …si je comprends bien tout ce que tu tentes de m’expliquer, la communauté scientifique et les chercheurs savent depuis longtemps qu’une pandémie nous guette, et que plusieurs virus potentiellement mortels peuvent émerger d’un moment à l’autre, et ravager une importante partie de l’humanité ? C’est bien ça que tu essayes de me faire comprendre depuis tout à l’heure ? 

–  À peu de choses près, oui… ; c’est bien ça , confirme Léon tout en exhalant la fumée d’une nouvelle cigarette.

–  Bon sang, mais pourquoi ne préviennent-ils pas les différents gouvernements et organismes de santé publique afin qu’ils se préparent à éviter un tel cataclysme ? 

–  Mais les scientifiques ne cessent de publier leurs recherches et découvertes, et d’alerter les autorités compétentes sur les différentes variantes et mutations virales pathogènes à forte contagiosité, particulièrement agressives, extrêmement dangereuses ou à caractère léthal. Seulement, comme je te l’ai expliqué, tout est question de décision politique, de vote budgétaire et de dimensionnement industriel.(1) Nous ne pouvons qu’alerter sur nos découvertes en les diffusant notamment aux travers d’écrits scientifiques. En dehors de cela, nous ne pouvons pas faire grand-chose, si ce n’est nous atteler à la tâche pour prévenir de potentiels agents pathogènes émergents. 

–  Et travailler d’arrache-pied à éviter le pire, avec finalement peu de possibilité d’y arriver…, commente Sandrine d’une voix éteinte.

–  Pour l’instant, oui... », confirme Léon. « Mais malgré ce constat nous ne devons en aucun cas baisser la garde. Nous ne devons surtout pas commettre l’erreur de penser que la grippe saisonnière est la seule chose pour laquelle nous devons nous inquiéter, parce-qu’il arrive toujours un moment où le monde est confronté à une nouvelle souche du virus « A », qui pourrait constituer une réelle menace pour la survie de notre espèce. Si l’on reprend l’épisode de la grippe espagnole de 1918, elle a eu un impact considérable dans le monde entier. Elle a tué plus de personnes que la première et que la seconde guerre mondiale réunies. Pendant les dix-huit mois durant laquelle cette pandémie a sévi, elle a tué entre cinquante et cent millions de personnes. Si ce même type de virus apparaissait maintenant, avec les mouvements de population que la planète connaît aujourd’hui, il tuerait plusieurs centaines de millions de personnes. Et il ne fait aucun doute qu’une nouvelle variante de cette grippe meurtrière est en train de surgir et de se répandre dans le monde.(2)

–  Papa, je suis morte de peur.», le coupe soudainement Sandrine « Mais qu’est-ce-qu’on va faire, hein ? Dis-moi...

–  Ma chérie, la meilleure des méthodes est de se prémunir de la façon dont un virus de ce type se propage. Il se transmet essentiellement par voie respiratoire, alors il faut approcher le moins de personnes possible, préférer la distance et l’isolement, lutter le plus possible contre les gestes instinctifs, comme se toucher le visage, et surtout se laver régulièrement les mains. Pour l’instant il n’y a rien d’autre à faire...

–  Et tous mes seniors ? Toutes les jeunes filles dont je suis actuellement responsable ? Qu’est-ce-que je vais bien pouvoir leur dire ? Qu’est-ce que je vais faire, papa ? 

–  Quitte immédiatement la structure dans laquelle tu te trouves, Sandrine. Peu importe ce qu’en diront Sophie Caron ou son ami Alain Senechal, depuis le fin fond de son centre hospitalier. Toi et ton équipe, demandez aux jeunes binômes dont vous avez actuellement la charge de prévenir leurs familles et de les informer que vous écourtez leur stage et que vous les ramenez à bon port. Ensuite, ramène tes seniors dans leur univers, là où leurs habitudes sont les plus ritualisées. Ta structure est bien plus petite que le Val de Sel, donc bien plus appropriée à la situation. Elle se trouve isolée en campagne et en conséquence plus sécure pour vous. Tous tes résidents doivent rester plus qu’à l’accoutumé dans leur chambre respective, avec le moins d’activités de groupe possible. Il faut réduire drastiquement les contacts. Préviens tes collègues et homologues dans les autres structures d’accueil, qu’elles soient médicalisées ou non. Protégez-vous le temps que la pandémie durera, car elle a déjà débuté. Notre gouvernement rechigne encore à prendre une décision pour ce qui est des mesures à prendre, car il demeure toujours sceptique quant à la gravité de la situation. Les importants consortiums, les grands décideurs et les hautes autorités ne veulent pas non plus que la production et l’économie s’arrêtent, dans une situation mondiale où la bulle financière est sur le point d’exploser. Ils se refusent à subir un effondrement économique plus terrible encore que celui de 2008 ou même que le crack de 1929. C’est ce qui leur fait le plus peur, somme-toute, malgré le fait qu’ils vont probablement être obligés de faire exploser la bulle sous peu, qu’ils le veuillent ou non. 

–  C’est terrible. Personne n’avait donc la moindre conscience de ce qui risquait de nous arriver, à n’importe quel moment ? Comment allons-nous nous sortir de tout ça, papa ? Et est-ce que nous allons seulement survivre ? Si ce n’est à l’effondrement économique qui menace, du moins au virus ? 

–  Tu sais ma chérie », précise Léon « une pandémie comporte beaucoup d’inconnues car on sait qu’elle comporte notamment de grandes perturbations sociales. Si comme je le crains cette nouvelle émergence virale prend des proportions incontrôlables, cela risque fortement de mettre non seulement en péril la continuité des services de santé, mais également celle de nos infrastructures et de nos réseaux d’énergie, en premier lieu par manque de personnel. (2)

–  À cause des personnes malades ou décédées, tu veux dire ? 

–  Oui, exactement. 

–  Alors, nous avons peu de chances d’en réchapper si c’est bien cela qui est en train de se produire. Nous sommes sous le coup d’une pandémie de grippe « A » inconnue et potentiellement agressive, et notre gouvernement ne s’est pas préparé et ne nous a prévenu de rien. Il semble que ce soit peu ou prou la même chose dans tous les pays ou même tous les continents, n’est-ce-pas ? Tout le monde va risquer sa vie et nous ne pouvons absolument rien éviter, par manque de prévoyance, de cohésion et de moyens. C’est bien ça ?

–  Sandrine… », hésite Léon, cherchant les mots qu’il va poser pour terminer de préparer sa fille au pire. « Avec l’émergence de ce nouveau type de virus aviaire, près de deux pour-cent à dix pour-cent de son décodage génétique nous échappe totalement. Nous n’avons pas eu le temps matériel de décoder correctement son génome. Nous n’avons pas pu bénéficier non plus des moyens financiers nécessaires aux recherches, ni à l’élaboration du vaccin universel. Nous sommes actuellement incapables d’émettre un avis scientifiquement fiable sur son temps d’incubation réel chez les personnes infestées, ni de connaître la réponse immunitaire des patients déjà atteints ou qui le seront. Nous ne savons pas de quelle manière le Covid-19 va se comporter lors de cette première vague pandémique, ni comment il va muter et évoluer lors de la seconde, ou même troisième vague de propagation et d’infestation...

–  Mon Dieu... , lâche Sandrine dans un souffle.

–  Sandrine, protège-toi autant que possible, je t’en prie. Fais immédiatement ce que je t’ai demandé de faire, tu m’entends ? L’humanité entière court un risque immense, et nous ne sommes pas prêts. »(4)

 

 

* Citation de Blaise Pascal - Mathématicien, physicien, inventeur, philosophe, moraliste et théologien français (1623 – 1662)

* ARN (Acide Ribonucléique) : présent chez pratiquement tous les êtres vivants, et aussi chez certains virus. L'ARN est très proche chimiquement de l'ADN et il est d'ailleurs en général synthétisé dans les cellules à partir d'une matrice d'ADN dont il est une copie.

* OMS : Organisation Mondiale de la Santé

(1)  Source :« H5N1 : Ce qu'il faut savoir sur la Grippe aviaire » : Entretien avec les professeurs François Bricaire (chef du service des maladies infectieuses et tropicales - Hôpital de la Salpêtrière à Paris) et Jean-Philippe Derenne (chef du service de pneumologie et réanimation - Hôpital de la Salpêtrière à Paris). Interview effectuée par Christophe Donner. Imineo Documentaires. (28 mai 2016)

(2)  Source : Docteur Dennis Carroll (directeur de l’unité des menaces sanitaires (USAID)) - Série de reportages « Pandémie » - Episode 1 – Avril 2020

(3)  Source : INSERM – Article « Tuberculose. Le bacille fait de la résistance » - (juillet 2016)

(4)  Source : « The next outbreak ? We’re not ready » - Intervention de Bill Gates au TED – 03 avril 2015 - (http://TED.com )

 

 

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