J – 62 : « Humain ou animal ? »

05 avril 2020 – Terrasse – Domicile familial – 07h30 du matin

Le chapitre huit est long, bien trop long. À la relecture, je pense qu’il risque fortement de mettre à mal la patience du lectorat. Il me semble impératif de le faire repasser par le billard, pour un rééquilibrage narratif. Je décide de le retirer du blog et de le diviser en deux parties, plus égales et mieux construites en terme de « révélations ».
Ainsi resoumises à l’appréciation des uns et des autres, elles auront peut-être davantage de chance de convaincre et éviterons de fatiguer la majorité des paires d’yeux qui s’y poseront.
Je me colle donc à la rédaction d’un billet informant des conditions opératoires du chapitre en question, et promets dans la foulée l’élaboration d’un tout nouveau chapitre neuf.

Je retourne ensuite sur la terrasse située au sommet de notre vieille maison à étages, depuis laquelle j’ai pu, une heure plus tôt, profiter du jour naissant. Le calme dont bénéficie l’ancienne bastide depuis la mise en place du confinement s’avère plus qu’appréciable, malgré les difficultés partagées par l’ensemble des concitoyens. La nature s’exprime maintenant aussi clairement que le pépiement des oiseaux. Leur chant extatique traduit le bonheur du territoire retrouvé, après tant d’invasion humaine. L’oreille perçoit de nouveaux leurs gazouillis, noyés des années durant dans le bruit incessant des moteurs. L’air s’avère également plus respirable, les poumons en sont le témoin journalier. C’est un pur plaisir d’en prendre une bouffée chaque matin, alors que nous vivions jusque là sous le joug des 200 véhicules par heure, circulant sous nos fenêtres.

Soufflant sur mon café encore brûlant, je repense à l’article surprenant dans lequel j’ai pu découvrir qu’un aigle impérial avait récemment pu être observé en Charente ; « une première dans la région », selon l’association spectatrice de son retour inespéré(1)
Les animaux reconquièrent leurs territoires, et c’est justice. Trop longtemps, les terrifiants dévastateurs que nous sommes ont contribué à la drastique réduction de leurs espaces vitaux. Maintenant que tout se tait, que le calme devient la norme obligée, la vie sauvage revient sur ses pas pour se réapproprier ce qui lui appartient de droit depuis des millénaires. Mais pour combien de temps ? Dès le possible déconfinement, allons-nous de nouveau redonner toute latitude à l’envahissement et ignorer les preuves récurrentes de la détresse naturelle ? Elles sont pourtant nombreuses, ces preuves, depuis que le monde s’est fait Homme. Peut-être serait-il judicieux de profiter des circonstances exceptionnelles du retour animal pour leur offrir une trêve, amplement méritée.

Le glissement de la porte fenêtre m’interrompt dans mes réflexions. Mon époux vient de se lever et me rejoint pour m’inviter à partager son petit déjeuner. Comme souvent, il est affûblé de son infatigable robe de chambre en jersey bleu. Je lui rends son baiser matinal, un sourire irrépressible aux lèvres. Les motifs « paisley » * de sa « robe de châtelain », comme il se plaît à la nommer, indiquent très nettement son aptitude à rester bloqué dans les années 80. L’époque dont elle demeure la garante n’a pas fait montre d’un esthétisme du meilleur goût, surtout en matière vestimentaire. Mais l’affect ouvre parfois la voie au « démodé ».
La réminiscence d’un instant de franche complicité remonte depuis le tréfonds de ma mémoire et ravive le souvenir particulièrement savoureux de ma meilleure amie qui, un jour de visite, avait spontanément lancé à mon mari l’un des traits d’humour dont elle seule a le secret.
Alors
qu’il ouvrait la porte d’entrée pour l’accueillir, vêtu de son douillet déshabillé masculin, la réflexion n’avait pas manqué de fuser.
« Toi aussi, tu as fait un burn out ? », avait-elle lâché depuis le seuil, prise par le fou rire. Un grand moment !

Nous nous prenons par la main et redescendons tous deux vers la cuisine pour une collation matinale, quand l’appel du clavier me claironne de retrouver le tempo. Je quitte la table illico pour retrouver mon bureau et me remettre au travail.
Quelle n’est pas ma déception
lorsque, une fois l’ordinateur rallumé, mes yeux se posent sur les dernières informations en date… Alors que les Ehpad continuent d’afficher le triste record de 1400 morts dans le seul hexagone, les cris d’alertes ne cessent de remonter aux autorités, sans succès. Ces structures d’accueil manquent de tout, surtout du médical. Le durcissement économique et les coupes stratégiques exigées par le grand capital les privent de personnel soignant, de psychologues, de psychiatres, de masques, de tests, d’hygiène et de vigilance.
J’apprends avec effroi que les dernières indications chiffrées ne sont pas les seules devant lesquelles tout à chacun devrait avoir à s’affoler. À l’heure d’aujourd’hui, près de 7000 décès sont d’ors et déjà à déplorer dans le pays, alors que dans le monde entier 7000 milliards viennent d’être injectés par les banques centrales pour sauver l’économie. Une navrante comparaison d’un nombre qui, bien qu’identique, se situe aux antipodes quant à ce qu’il signifie.

Sous le coup de la colère qui me broie l’estomac, j’ai toutes les peines possibles à revenir aux questions de découpage et de construction narrative. Aux vues de la tragédie qui touche l’ensemble des populations du monde, mes problématiques d’équilibre fictionnel ressemblent à une mauvaise plaisanterie. Le principe de chapitrage servirait sans doute bien mieux la cause du vivant, dans une période d’ignominie capitaliste et d’irresponsabilité sanitaire.

Qu’à cela ne tienne. J’en prends bonne note. Pour l’heure, je replonge dans les malheurs de ma jeune étudiante, à qui la vie n’épargne pas grand-chose non plus. Cet écho venu de l’imaginaire m’aidera à tenir la distance, du moins jusqu’au bout du jour.
Ensuite, on verra. Demain sera une autre histoire…

 

 

(1) Source : Journal en ligne « sudouest.fr »- Article : « Un aigle impérial observé en Charente, une première dans la région » - Rédaction : B. R. (20 avril 2020) - En collaboration avec l’Association « Charente Nature ».

* Les motifs paisley, également appelés motifs cachemire, sont des motifs iraniens souvent imprimés sur les châles, cravates et mouchoirs fabriqués à partir de tissu de Perse.

 

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