J – 58 : « Si ce n’est toi, c’est donc ton frère ? »

09 avril 2020 – 07h00 du matin

Toutes les pièces de la maison ont été amplement investies et revisitées jusque dans leurs moindres recoins. Je la connais plus à présent que je ne saurais mémoriser les détails de mon vieux pyjama. Depuis le 16 mars dernier il ne me quitte plus pourtant, contrairement à mon maquillage, qui laisse derrière lui une tête de poisson mort rehaussée d’épis inégaux, taillés aux ciseaux de cuisine. Un vrai bonheur pour mon époux !
Il continue cependant courageusement de vaquer à ses plaisirs culinaires afin de préparer de bons petits plats à son « écrivailleuse » de femme. Je l’envie de conserver un tel enthousiasme devant le portrait incarné de la décrépitude. Je ne sais pas pour ma part si je serais seulement apte à en faire autant.

Il en fait plus en ce moment pour m’aider et me soutenir dans mon projet que je ne l’ai fait en vingt-cinq années de vie commune. Et quel sens de l’humour ! Je me dis qu’effectivement, il en faut beaucoup pour vivre à mes côtés, surtout si l’on considère le niveau d’esthétisme et l’état psychologique dans lesquels je me trouve.
Mon scepticisme patenté ne trouve son contraire que dans l’énergie que met mon mari à demeurer positif. Les événements qui pourraient, sans nul doute, le faire se refermer dans sa coquille, contribuent paradoxalement à l’ouvrir sur le monde et lui font plus que jamais tendre la main à autrui.
Depuis des jours, je l’observe en silence et remercie le ciel d’être tombée sur lui. Moi qui ai une forte tendance à l’auto-dévalorisation, il me tire toujours vers le haut. En y mettant un point d’honneur, il force mon courage et me permet de tenir sur la longueur. La seule idée d’un nouveau projet le remplit d’énergie positive, mettant au défi toutes mauvaises ondes de continuer à traverser son univers. Et cela, comme le rire spontané des enfants, est communicatif.

Regonflée par ces agréables pensées, je pose les mains sur mon clavier et guide ma souris vers de nouveaux liens pointant vers les sites ou articles récemment repérés. Ce que vais apprendre aujourd’hui continuera d’apporter de l’eau à mon moulin, et nourrira plus avant ma cause narrative. Plus ma fiction s’ancrera dans les réalités contemporaines, plus leurs détails l’enrichiront. Mais la tâche est ardue, et se montre décidément chronophage. Elle me prend au moins la moitié du temps. Je comprends d’autant plus les années de recherches nécessaires aux grands auteurs pour étayer leurs ouvrages. Mais fort heureusement je ne m’attelle pas à un ouvrage historique. Quoique…

Avant de me plonger dans les lectures du jour, j’active ma vigie et reparcoure le fil des posts dernièrement relayés sur mon profil Facebook. Je sais de source sûre que ce type de plateforme suscite dorénavant la méfiance, car avec les années cet outil est devenu, de par sa colossale collecte de données, un puissant « Big Brother ». * Mon regard s’arrête net sur une vidéo, barrée d’une croix rouge. Je sais que tel n’était pas son cas il y a deux jours, lorsque mon mari l’a postée via le réseau.
Un message apparaît, visible de tous : « Note de Faux sur le contenu partagé (…) Vérifié par Agence France Presse. * (…) Pour lutter contre les fausses informations, Facebook limite la distribution de contenu trompeur tout en affichant des rapports supplémentaires sur le même sujet. Les Pages et sites web qui publient ou partagent de manière répétée du contenu trompeur verront leur distribution réduite et leur capacité à monétiser et faire de la publicité ainsi qu’à s’enregistrer comme Page d’actualités supprimée. Si une Page d’actualités enregistrée partage de fausses informations à répétition, son enregistrement en tant que Page d’actualités sera révoqué. Les gens pourront ainsi voir si une Page a un passif de partage de fausses informations. La suppression du contenu trompeur n’affectera pas ces résultats. »
Je clique pour revoir le contenu de l’article relayé. Il parle de manipulation génétique du virus covid-19, qui aurait été combiné avec le VIH. *

Je sais que depuis plusieurs jours, la campagne de désinformation et la surveillance médiatiques battent tous les records, de peur de ne plus arriver à contrôler « l’infodémie », ou la colère, légitime, de la population face à l’incurie gouvernementale.
Je me mets à leur place mais ne leur pardonne rien, consciente que dans notre pays la liberté d’opinion et d’expression sont sur le point de totalement disparaître avec pour seul argument, le « faux » ou la « diffamation ». Cela m’apparaît risible, alors que chacun sait que les femmes et les hommes naviguant dans les plus hautes sphères passent leur temps à répandre des mensonges ou à diffâmer sans vergogne quiconque se met en travers de leur chemin, et ce au moyen des pires outils de propagande qui soient : les médias.
Je continue de parcourir le fil des posts et en trouve plusieurs autres, barrés de la même croix rouge. Celle-ci n’a décidément rien à voir avec le symbole si connu de la protection et de la Santé. Le texte est le même, les contenus sont quant à eux différents, mais relèvent de scandales d’État que le pouvoir a manifestement décidé d’étouffer dans l’oeuf. Les noms de A.Buzyn * et de Chloroquine * reviennent à chaque fois.
En creusant un peu plus loin, je prends connaissance qu’il en est de même pour toutes celles et ceux qui se sont risqués à relayer l’information. La surveillance bat son plein. Je fouille plus avant et constate que même les banderoles humoristiques s’habillant de cynisme sont taxées de « diffamatoires », et interdites sur-le-champ. Les esprits libres ou rebelles les ayant malencontreusement accrochés à leurs balcons ou sous leurs fenêtres sont systématiquement visités, et réprimandés. Les convocations et les amendes pleuvent. Il apparaît clair à présent que le contrôle s’est largement renforcé. Il est devenu, si ce n’est total, du moins national ; validé par une gouvernance au bord de l’abîme.

Totalement désemparée, les bras ballants, je tape à la porte du bureau dans lequel mon époux s’use les doigts à écrire des articles pour continuer à transgresser un droit dorénavant devenu illégal. Je lui raconte mes dernières trouvailles. Il est déjà au courant. À ma mine déconfite, il propose un verre de rosé frais. Ce n’est pas grand-chose mais par les temps qui courent, et qui risquent d’advenir, cela peut s’apparenter à du luxe. Je lui réponds par la positive et descends l’attendre dans le petit salon.
Nous trinquons et grignotons un peu, histoire de laisser un semblant de temporalité nous bercer de ses rassurants repères. La sieste qui s’ensuit se fait courte, l’heure est urgente. Je remonte deux par deux les marches qui mènent au premier étage et clique fébrilement sur ma souris. Le spectacle continue !
J’apprends que la variante de coronavirus qui assaille la planète entière créerait à présent de brusques
éruptions cutanées inquiètant les dermatologues… L’article titre de manière toujours aussi racoleuse : « Mutations méconnues du Covid-19 à l’intérieur de ses hôtes ».(1) Un extrait attire plus spécifiquement mon attention : « Fièvre, toux, courbatures, maux de tête, fatigue extrême, perte du goût et de l’odorat étaient jusqu’à présent les symptômes provoqués par le coronavirus. Un autre semble vouloir s’inviter sur la liste comme s’en inquiètent les dermatologues qui ont remarqué chez des patients de nombreuses manifestations cutanées possiblement en lien avec la maladie du Covid-19. »(1)

L’on en a visiblement pas terminé avec les surprises que ce micro-organisme se plaît à nous offrir. Devant cette nouvelle manifestation de la création, qu’elle soit entièrement naturelle ou non, il est plus qu’évident que nous pataugeons. Nous ne pouvons que surnager, si tant est que nous puissions qualifier ainsi la lutte que nous menons. Voici à quoi l’humain, si prétentieux naguère, en est réduit. La leçon était nécessaire, mais la note est salée. Les conséquences naturelles sont toujours proportionnelles à notre inaptitude à la remise en question. Et tant que le déni durera, elles s’amplifieront.
Je termine de m’achever en
visionnant une vidéo postée par un journal en ligne, développant point par point les raisons pour lesquelles l’épidémie va survivre au confinement.(2) Je repense aux bruits qui courent, annonçant qu’une date de déconfinement progressif serait déjà fixée au 11 mai prochain. Mon esprit s’affole et s’emballe, ne me laissant aucun répit jusqu’à la fin de l’après-midi.

Ainsi en alerte, je serai davantage à même d’insuffler à mes personnages la peur devant le règne incontesté d’un organisme à portée léthale. Cela tombe bien. Dans le prochain chapitre, un nouveau venu va prendre corps. Il vient du monde scientifique, et risque fort d’en apprendre de bonnes aux lecteurs sur les origines du virus que nous sommes contraints de combattre sans armes, ou si peu.
Les muscles de mon dos se tendent, mes doigts se crispent sur le clavier. Je suis comme l’athlète dans l’attente du coup de feu avant la course de fond des 5000 mètres.
Un, deux, troi
s… Episode onze, première partie.


 

 

* Big Brother : en anglais « Grand Frère ». Personnage de fiction du roman « 1984 » de George Orwell. L’expression « Big Brother » est depuis utilisée pour qualifier toutes les institutions ou pratiques portant atteinte aux libertés fondamentales et à la vie privée des populations ou des individus.

* Agence France Presse : agence de presse mondiale et généraliste d’origine française chargée de collecter, vérifier, recouper et diffuser l’information, sous une forme neutre, fiable et utilisable directement par tous types de médias (radios, télévision, presse écrite, sites internet) mais aussi par des grandes entreprises et administrations.

* VIH : virus de l’immunodéficience humaine, responsable du sida.

* Agnès Buzyn : ex-ministre des Solidarités et de la Santé, sous la présidence d’Emmanuel Macron et au sein du premier et du second gouvernement Édouard Philippe.

* Chloroquine : Médicament, traitement. Dérivé chloré de la quinoléine, doué d’activité antipaludéenne et antiamibienne.

(1) Source : site internet « futura-sciences.com » - Article : « Coronavirus : des brusques éruptions cutanées inquiètent les dermatologues ! » - Rédactrice scientifique : Julie Kern (08 avril 2020)

(2) Source : journal en ligne « Le Monde » / #Les Décodeurs – Titre de la vidéo : « Coronavirus : pourquoi l’épidémie va survivre au confinement » (Mise en ligne : 08 avril 2020)

 

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