J – 52 : « En route pour l’hystérie »

15 avril 2020 – 08h15

« Chaque jour de ta vie est un feuillet de ton histoire ».Cette superbe citation s’est imposée à moi au détour de l’une de mes recherches. Le hasard fait tout de même bien les choses, si tant est que c’en soit vraiment.
Cela entre tant en résonnance avec l’idée qui me trotte dans la tête que j’en souris intérieurement. Depuis
déjà près d’une semaine, je réfléchis à l’élaboration d’un journal qui viendrait potentiellement s’articuler avec le roman que j’écris au jour le jour. Ce vœu de mémoire se ferait le témoin quotidien de l’écrivailleuse que je suis, en plein défi d’écriture. Son vécu, sa temporalité, ses doutes, ses rêves, son travail, ses peurs, ses questionnements, ses joies… En bref, la vie « confinée » d’une scribouillarde, doublée d’une gageure : celle de réussir à rédiger un roman dans son entier, complété de son journal de bord, et ce en seulement 80 jours.

De quoi tomber raide devant l’idiotie de la chose, ou son infaisabilité. Il faut avoir totalement basculé pour imaginer un tel projet. Surtout que le contexte dans lequel évolueraient les personnages serait le nôtre, ce qui impliquerait d’inscrire la fiction dans une réalité des plus concrètes. Un véritable challenge, induisant une somme incalculable de fouilles minutieuses dans les strates de l’actualité. Cela relève de l’insensé, de la schizophrénie paranoïde ou de l’hystérie.

C’est justement le terme qui me vient : hystérique. Depuis l’arrivée « soudaine » de la pandémie, le confinement fait ployer les convictions, lève le voile sur l’horreur, révèle le mensonge, la lâcheté, le manque de responsabilité et contraint tout à chacun à assister à l’effondrement sans plus de défenses qu’un nouveau-né. Cependant, le coup porté à la grégarité révèle une solidarité d’une force insoupçonnée, ainsi qu’une farouche tendance à la bravade. Les héros modernes sont bien , mais calfeutrés par la force des choses au fond de leur habitat. De quoi devenir « chèvre » devant l’absurdité de l’équation, qui depuis des siècles se heurte à l’insoluble : partage et hiérarchie semblent résolument incompatibles…

Révoltée par un tel constat, je me renfrogne. Toute la matinée est engloutie par le combat intérieur que je mène, bien inutilement. En résulte toutefois une frustration suffisante pour m’aider à trancher. Mon désormais « prochain » journal sera donc pompeusement baptisé : journal de bord d’une « écrivailleuse » hystérique.

Cependant, mon aptitude au doute me fait repenser le concept, peut-être un poil « too much ». * Je ressasse cette première idée, sans réussir à en trouver de meilleures. Après moulte réflexions, je décide de ne pas en changer un mot et m’attele dans la foulée à la rédaction d’un post « informatif », à l’attention de celles et ceux qui me font la grâce de parcourir quotidiennement le fruit de mes efforts.
Je leur explique l’intention, détaille la motivation, partage l’émotion de l’instant, fait état une fois encore du contexte et leur confirme ma volonté de remonter le fil des chapitres, jusqu’au dernier en date. Le reste suivra, en alternance, jusqu’à la fin du roman. Un billet du journal, un chapitre. Double travail.
Pas grave… Cela m’évite de trop penser en citoyenne déch
ue de ses droits, notamment celui de vivre dignement sans dictature pour la chapeauter.

La chose terminée et mise en ligne, je tente un tour d’horizon de l’actualité. Ouvrir les yeux se révèle toujours aussi douloureux. Quand la démarche d’ouvrir la boite de Pandore se fait nécessaire, y voir clair revient paradoxalement à souhaiter la cécité, quand cette envie n’est pas accompagnée d’un besoin irrépressible de se boucher les oreilles. Cesser d’entendre les mensonges proférés à longueur de journée par les maîtres de la propagande devient synonyme de prouesse.
L’imposture est partout et « la vérité est ailleurs », comme l’auraient si bien corroboré nos célèbres agents du FBI : Fox Mulder et Dana Scully.
Le contenu des « dossiers » se répand chaque jour sans pudeur, inondant la toile, les ondes, les rédactions, les plateaux de télévision et les torchons qualifiés de « journaux ».
Le « secret » n’existe plus, l’abjection est bien réelle.

C’est dans ce fâcheux état d’esprit que j’entame la troisième phase du confinement, officiellement annoncée le 13 avril dernier à grand renfort de médias. Des millions de personnes ont mis leurs existences entre parenthèses pour se pendre aux lèvres du chef de l’État, confortablement installé dans son fauteuil Elyséen.
La confirmation tombe : 11 mai, au minimum. Parallèlement, annonce est faite que les crèches, écoles, collèges et lycées rouvriront « progressivement » à la mi-mai. Dans l’enseignement supérieur, en revanche, les cours ne reprendront « pas avant l’été ».
Les yeux presque larmoyants, superbe de sincérité, le Président justifie sa décision
hâtive et déploie son argumentaire pré-mâché.
« Trop d’enfants, notamment dans les quartiers populaires, dans les campagnes, sont privés d’école sans avoir accès au numérique et ne peuvent être aidés de la même manière par les parents », constate-t-il. « C‘est la raison pour laquelle ils doivent pouvoir retrouver le chemin des classes ».
Notre fringuant jeune dirigeant fait également valoir que le gouvernement aura à aménager des règles particulières, organiser différemment le temps et l’espace, bien protéger les enseignants et les enfants avec le matériel nécessaire.(1)  L’information est vaste, générale, et maintient l’ensemble dans un flou artistique digne de Turner. * Pour la procédure concrète en terme de protection sanitaire des enfants, chacun devra de nouveau s’armer de patience. Le lundi de Pâques aura été festif…

Compulsant les dernières nouvelles, café en main, je tombe sur un article qui attire tout spécifiquement mon attention. Six coronavirus encore inconnus viennent d’être identifiés chez des chauves-souris en Birmanie ! Cette information n’est pas pour me guérir de ma nouvelle partenaire hystérique qui, sans discontinuer, gagne du terrain sur ce qu’il me reste de recul.
Les paragraphes que je parcoure me confirment
que, selon une étude parue le 9 avril dans la revue scientifique « PLOS One »* , des chercheurs birmans auraient prélevé différents types d’échantillons sur des animaux en liberté, à la suite de quoi un séquençace ADN aurait été effectué, comparant les virus prélevés à ceux des coronavirus connus.
En ressortent concrètement trois nouveaux « Alphacoronavirus » et trois nouveaux « Bêtacoronavirus », contre un seul « Alphacoronavirus » précédemment identifié en Asie du Sud-Est.(2)  De quoi donner matière aux cauchemards les plus sombres !
Il est effectivement de notoriété publique que la chauve-souris reste connue pour sa forte propension à se transformer en « réservoir à virus », dont plusieurs sont transmissibles à l’homme. Le passé l’a déjà prouvé. Néanmoins, aucun de ces nouveaux virus ne ressemblerait apparement à celui de notre tristement célèbre Covid-19.

Je m’incline devant les derniers rebondissements de la nature et tente d’oublier quelque temps ma temporalité pour basculer dans celle de Zia, Emile, Sandrine, Luc, Martine et tous les protagonistes de cette vie parallèle dans laquelle, ce soir, je rêve de devenir un autre type de chauve souris…

 

 

* Citation : « Recueil de proverbes et dictons du Maghreb » (1855)

* « Too much » : en anglais, « trop » ou « de trop ».

(1) Source : journal en ligne « Le parisien » - Article : « Coronavirus : les écoles rouvriront à partir du 11 mai, les universités «pas avant l’été» (13 avril 2020)

* Joseph Mallord William Turner : peintre, aquarelliste et graveur britannique du XIXeme siècle. Tableau de référence pour le « flou » : paysage dans le Val d’Aoste (1840-50)

* PLOS One : grande revue scientifique, éditée quotidiennement par la « Public Library of Science » et diffusée exclusivement en ligne. Elle couvre tous les domaines de la science sans distinction.

(2) Source : journal en ligne « futura-sciences.com » - Article : « Six nouveaux coronavirus découverts chez la chauve-souris » - Rédaction : Céline Deluzarche (15 avril 2020)


 

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