J – 73 : « Savoir nager sans se noyer »

25 mars 2020 – Petit salon – Domicile familial – 13h00

Les personnages approfondissent plus avant leur relation et leurs interactions commencent à prendre corps. L’établissement hôtelier dans lequel ils évoluent se fait soudain le décor dramatique du début de pandémie. Les premières informations inquiétantes liées au Covid-19 se dévoilent notamment au travers de Sophie, fraîchement débarquée parmi les protagonistes de ce drame semi-fictionnel. Cette fin de chapitre quatre ouvre sur un contexte dans lequel le répit ne sera désormais plus de mise, du moins je l’espère.

Depuis 06h30 ce matin, je n’ai pas ménagé mes efforts pour rendre crédible et digeste les complexités narratives qui ne cesseront d’augmenter au cours des prochains chapitres, j’en ai bien peur. Mais dans quoi tu t’es embarquée ? Tu vas te bananer ma pauvre vieille… ; si tu ne t’es pas grillé les neurones avant !
Toujours affublée du pyjama polaire dont je suis devenue inséparable, je persiste et signe. Crête dressée, je tape sur les touches de mon clavier avec une conviction de plus en plus grande. Aucune raison que je n’y arrive pas ! Mais force est de constater que des années d’écriture ne justifient en aucun cas de s’auto-proclamer auteure. Ecrivain est un métier qui ne s’improvise pas ; qui plus est en situation de confinement, isolée de tout conseil pertinent et contrainte par ma seule volonté d’aboutir en un temps record, volontairement limité à 80 jours. Même Amélie Nothomb*, romancière de renom parmi les plus prolifiques, n’arrive pas à achever un roman en moins de douze mois. Entre les phases de recherches et de réflexions, la rédaction proprement dite et les travaux de réécriture puis de relecture effectués en collaboration avec l’éditeur, croire que tout va être bouclé en moins de trois mois s’apparente au délirium le plus consommé.

Qu’importe. Ecrire est devenu ma planche de salut en cette époque troublée. Le défi lancé se doit d’être relevé. Cela me tient en éveil et nourrit une conscience des événements que je partage quotidiennement avec tous les artistes initiateurs des créations les plus inattendues.
Chaques confinés redoublent d’inventivité. Tous les réseaux et les plateformes regorgent de leurs chants, de leurs arts ou de leurs initiatives. L’humour se trouve étonnament au coeur des choses, comme un bouclier levé face à l’invisible.
Dans ce déploiement fécond, l’adversaire se fait encore plus petit qu’il ne l’est. La dérision est une arme redoutable, astreignante pour l’inaction imposée en dernier ressort. Les vidéos se multiplient et se répandent de manière virale. Elles sont notre nouveau traitement contre la férocité naturelle et la barbarie moderne. Leur relais fait de nous des postiers insoupçonnés et renforce une camaraderie solidaire, que tout à chacun pensait disparue.

La contrainte ne sévit cependant pas seulement au sein des foyers. Elle continue de se répandre au dehors et atteint jusqu’aux plus hautes sphères du gouvernement. Aujourd’hui, vingt-cinq ordonnances viennent d’être adoptées en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. « Du jamais vu depuis 1958 » titrent toutes les rédactions, suivies de près par l’ensemble des médias.(1)
Dans le cadre de l’urgence sanitaire qui ne fait que s’aggraver, les soignants manquent de tout et surnagent comme il peuvent. Plus que jamais sous tension, ils s’affolent, dénoncent, quémandent et manquent de perdre pied dans le raz de marée qui les submerge. Pour seule réponse, le dernier conseil des ministres a surfé sur cette triste vague afin d’imposer que certaines des libertés fondamentales se voient restreintes.
À l’heure où le prince de Galles* lui-même se trouve atteint par le virus et que son propre premier ministre préconise l’auto-immunisation du peuple britannique hors confinement, le p
rofesseur Juvin* dénonce l’incurie de l’État. Il accuse et souligne les cruels manquements dans la gestion de la crise sanitaire, mettant les victimes du coronavirus et le personnel soignant en danger. (2)

Démolie par la gravité des nouvelles, même triées sur le volet, je filtre et croise les tirs afin de m’épargner la désinformation ou le mensonge. Au fait des dernières réalités, je remonte m’installer devant l’écran, un solide café dans l’estomac pour tenir le coup jusqu’à ce soir. Et tant pis si je me révèle prolixe. L’écriture reste un vivier dans lequel je compte bien continuer de nager pour drainer mes idées noires et canaliser mes envies de meurtres. Il demeure le moyen le plus pacifique de se battre, que ce soit contre soi-même ou non.



 


 

* Amélie Nothomb : nom de plume de  Fabienne Claire Nothomb, romancière belge d'expression française. Auteur prolifique, elle publie un ouvrage par an depuis son premier roman, « Hygiène de l'assassin ».

(1) Source : DIRECT – Figaro / AFP  - Article : « 25 ordonnances signées en un temps record. Du jamais vu depuis 1958 » (25 mars 2020)

* Le prince Charles, prince de Galles : membre de la famille royale britannique, de la maison Windsor.

* Patrick Juvin : médecin urgentiste, anesthésiste-réanimateur, professeur de médecine et chef de service des urgences de l'hôpital européen Georges-Pompidou à Paris, depuis 2012.

(2) : SOURCE : reportage LCI / AFP (25 mars 2020)

 

 

 

 

 

 

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