J – 28 : « Retour à l’anormal »

 

09 mai 2020 Bureau-bibliothèque – Domicile familial – 11h30

Jamais épreuve ne m’aura causé autant de difficultés à maintenir le cap. Le 07 mai aura eu son lot de souffrances terrienne et citoyenne, malheureusement bien inutiles. Je reste pourtant convaincue d’avoir eu raison de les exprimer, tout en regrettant de l’avoir fait. À moins de payer un médecin suffisamment exercé au tri, lâcher son mal être dans la nature revient à vider le contenu de son sac poubelle sur la tête d’inconnus. C’est incongru, et malvenu. Je m’étais jurée de ne plus faire cela, et l’avais promis à mes lecteurs. Peine perdue. La bête à cornes qui m’habite a conservé la main sur mon territoire.

Le grincement de mes dents s’ajoute au bruit sec des touches de mon clavier, que j’active avec frénésie. La contrariété accroît le phénomène. La chambre-bureau et l’imposante surface boisée me servant de table d’activités viennent de m’être interdits. La reprise de l’activité professionnelle de mon mari nécessite un plan de travail suffisamment spacieux pour accueillir trois ordinateurs et leur batterie de câbles et de prises en tout genre. L’ingénierie informatique ne fait pas de compromis, surtout en distanciel.

Reléguée dans l’autre pièce, je me retrouve donc à jouer les contorsionnistes sur une table dont le plateau est à peine plus large que celui d’un tripode * des années cinquante. Il va falloir jongler pour ramener à son strict minimum ma propension à l’étalement. Comme si tout ce que j’étais amenée à traverser n’était pas déjà amplement suffisant ! S’il faut en plus de cela que je me retrouve contrainte de créer, cloîtrée dans une pièce pas plus grande qu’un mouchoir de poche, autant me former tout de suite à la gravure sur riz.   Ben dis-donc mémère, t’es en pleine forme ce matin !

J’attrape un tapis de sol, mets une musique « zen » - qui en l’occurrence, ce matin, ne « zénifie » rien du tout - effectue deux ou trois respirations d’accouchement, les mains sur les genoux, le dos tendu à m’en faire péter les vertèbres. Allons, allons… Un peu de pondération !

Rien n’y fait. Mes oreilles continuent de percevoir le bruit incessant des moteurs, tournant à plein régime.
Au-dehors, c’est
la folie. Bouger, bouger, bouger ; à tout prix, n’importe comment. Il n’existe plus que cela : reprendre la voiture pour un oui, pour un non ; même pour faire cinq cent mètres. Pour les courses, les masques, le week-end de trois jours, auquel personne n’a officiellement le droit d’accéder, mais pour lequel certains trichent et se meuvent dans le noir, comme des rats. Ils s’autorisent, alors que d’autres s’astreignent. Ils recommencent à polluer sans vergogne l’univers de ceux qui avaient trouvé leur compte dans l’accès au calme, enfin nettoyés de toute nuisance humaine.
Certains de leurs engins infernaux m’ont sortie du sommeil en pleine nuit, à quatre heures du matin. Quel bonheur, quand-même, ce « chacun pour soi et Dieu pour tous ». Cela donne l’absolution et allège la conscience. Le précepte fondateur de la bible des couards, et des lâches.

L’emballement du troupeau omet cependant de prendre en compte les quelques trois mille malades encore maintenus en services de réanimation, ainsi que les mille contaminés déboulant chaque jour dans les structures hospitalières. Ce qui ne manquera pas d’attiser le feu d’une seconde vague pandémique ; à moins que toute logique de raisonnement ne m’ait d’ors et déjà abandonnée.
Cela sans compter sur les distances de sécurité qui, lors de ce « déconfinement » désorganisé, auront sans nul doute beaucoup de mal à être respectées.

Au beau milieu de ce tragi-comique, la palme d’or revient aux amendes, distribuées à tort et à travers durant près de huit semaines, et qui sans équivoque continueront de pleuvoir sur celles et ceux qui, par malheur, auraient la mauvaise idée de ne pas posséder de masques ; alors qu’ils auront jusque-là cruellement manqués et s’inscrivent encore aux abonnés absents, pour ce qui est des familles par trop démunies.
Sachant toute la fortune à faire par les grandes enseignes, il était
bien évidemment inenvisageable de proposer ces rectangles de papier à la gratuité ; et ce au détriment des moutons, par ailleurs déjà tondus pour les décennies à venir.

Notre dénuement forcé n’aura trouvé son maître que dans l’ignominie dirigeante. Un bien doux euphémisme.
Libération physique, mais carcans toujours présents ; fichiers numériques des contaminés où le secret médical devient, de manière « éphémère », données publiques ; brigades de police et de gendarmerie veillant à surveiller les rencontres afin de mieux « protéger du virus ». La désormais célèbre application Stop-Covid arrivant en juin prochain sur les téléphones portables, et utilisant la technologie GPS afin de mieux localiser leurs propriétaires.
Les trop méconnues « boites noires » de la loi « renseignement » de 2015 devant être prolongées jusqu’en 2021 ; la classe dirigeante entendant les maintenir présentes sur les réseaux des fournisseurs d’accès à internet, et des hébergeurs.
Toute activité sur la toile pourra ainsi continuer d’être observée en toute impunité, sous prétexte de veille du comportement « suspect ». (1)
En ces temps troublés, rien n’est moins certain que le sens que d’aucuns souhaiteront dorénavant conférer à ce mot, jadis bien plus clair. Il semblerait que les dits « suspects » ne se situent plus véritablement du même côté de la barrière...

La gestion de crise, dans laquelle chacun s’enfonce, dégage ses relents autoritaires. L’ensemble des dispositifs intrusifs risquant fort d’être pérennisés à l’avenir, si tant est que nos dirigeants estiment le bilan positif. Ce qui ne manquera certainement pas d’advenir. Détenir l’information, c’est gagner en pouvoir.

Surveillance partout, liberté nulle part. Le Big Brother est en marche et galope à grandes foulées. Bientôt, plus rien ne sera enviable à l’Empire du Milieu, que les occidentaux s’ingénieront à décrier pour s’enduire de moralité et se donner bonne conscience, ou échapper à leurs propres responsabilités. En témoigne la tentative d’amnistie comprise dans l’état d’urgence sanitaire. Ce dernier, à présent bien en place, permettra de maintenir une restriction drastique des rassemblements, notamment des manifestations. Mais il n’empêchera en rien tout à chacun de réclamer des comptes, à juste titre. (1)

Quelle qu’ait été la mesure appliquée pour contrer l’invisible, le véritable ennemi a fini par dévoiler son visage.
La lune continuera désormais sa course dans un
ciel différent, et demain, un nouveau soleil se lèvera.

 

 

* Tripode : Objet ou support de petite surface, muni de trois pieds.

(1) : Source : Journal en ligne « TVLibertés / TVL » (JT - Coronavirus : le point d’actualité - Journal du vendredi 8 mai 2020)

 

 

 

 

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