J – 30 : « Kyrie pour la planète »

07 mai 2020 Bureau-Bibliothèque – Domicile familial - 19h04

Aujourd’hui, la colère ne m’a pas quittée, la boule au ventre non plus. Et ce soir, j’ai pleuré. Beaucoup pleuré. Mon âme est dévastée par l’inconséquence humaine, par le manque de conscience, et de vigilance ; par le peu de cas que font les uns et les autres de leur propre progéniture, à qui, c’est à présent une certitude, beaucoup feront dorénavant un enfer sur terre. Pauvres enfants… J’ai mal pour eux, et pour le monde que les adultes vont leur léguer. Un bien cynique héritage, plus sordide qu’autre chose.

Il est dix-neuf heures passées. Le clocher de ma petite ville s’anime, annonçant un bien funèbre Angelus. Personne ne perçoit que cette volée de cloches martèle la venue du trépas. Celui de la planète, des animaux, de l’espoir d’un changement revenu dans la tombe avant même d’avoir éclos. L’humain mourra de sa propre négligence et de sa profonde bêtise, j’en ai acquis aujourd’hui l’amère certitude. Les habitudes sont plus fortes que le changement. Le pilotage automatique s’est momentanément mis en berne. Il vient de se réactiver.

Malgré un confinement encore en vigueur, la plus grande partie de la population est dehors. Les véhicules circulent sans arrêt ; au moins cent-cinquante passent sous les fenêtres de notre maison, chaque heure.
Le ballet de ces insupportables engins a démarré tôt dans la matinée, bien avant les huit heures.
Le vrombissement des moteurs n’a pas cessé d’agresser à nouveaux les oreilles, et les particules fines de recommencer à détruire les poumons.

Au cours de la journée, l’occupation s’est densifiée. La fatale reconquête de l’asphalte a entonné son détestable refrain. L’urbain a parlé, sans exprimer la moindre compassion pour ses congénères, ni pour les mesures sanitaires, encore moins pour le vivant. Et que dire de son environnement, résolument absent de son mode de pensée. Chacun reste prisonnier de sa propre bulle, définitivement enfermé dans la stupidité et l’irréflexion. La ligne d’horizon s’arrête au porte-monnaie, ou au bout du nez.

Les trottoirs, les rues et les places sont littéralement saturés d’inconscience et d’égocentrisme. Chacun y va de sa promenade en couple, ou en famille ; et si l’on y regarde d’un peu plus près, l’on croise des vélocipèdes, des motocyclettes, des pique-niqueurs, des badauds, des joggeurs, même des boulistes.
Aucun masque, ou si peu. Pas de gants. Le virus est toujours là. Tout le monde s’en fout. Les grandes enseignes et les drives sont saturés de voitures, vitres ouvertes, climatisations allumées, moteurs au ralenti.

La période de confinement a fait entrevoir une fenêtre d’espoir, un ralentissement drastique de l’activité humaine, repoussée dans ses retranchements, contrainte de s’éclipser. Un moment jouissif. Le calme et le silence, au-dehors. L’Homme s’est tu, enfin. Son agressive conquête du territoire a été stoppée net.
Les plus grandes villes se sont rapidement transformées en volière. Les chants des oiseaux ont trouvé leur écho dans le pépiement de leurs cousins ailés, ou dans la musique que certains ont dispensé aux autres, par leurs fenêtres, sur leurs balcons ou depuis leur jardin. Les abeilles sont revenues peindre les pétales de leurs nuances dorées.
Les clichés de la NASA ont été sans équivoque, la pollution a reculé, même le trou d’ozone s’est refermé, en moins de deux mois. La belle bleue a respiré. Elle a pris une grande rasade de ce qui lui était devenu interdit : son droit au respect, et à la survie. Pour un temps seulement ; l’espace d’un instant.

J’y ai cru. Je dois faire partie des rares, jugés ridicules par le grand patronat et les convaincus du monde marchand ; consuméristes, pollueurs, déplorables.
Un
exécrable article circulant sur la toile répand son odeur méphitique, sa condescendance, son abjection et ses miasmes meurtriers depuis la Suisse, d’où il appelle a l’inévitable et obligatoire reprise du pillage planétaire :
« 
Il faut éviter que certaines personnes soient tentées de s’habituer à la situation actuelle, voire de se laisser séduire par ses apparences insidieuses : beaucoup moins de circulation sur les routes, un ciel déserté par le trafic aérien, moins de bruit et d’agitation, le retour à une vie simple et à un commerce local, la fin de la société de consommation… Cette perception romantique est trompeuse, car le ralentissement de la vie sociale et économique est en réalité très pénible pour d’innombrables habitants qui n’ont aucune envie de subir plus longtemps cette expérience forcée de décroissance. La plupart des individus ressentent le besoin, mais aussi l’envie et la satisfaction, de travailler, de créer, de produire, d’échanger et de consommer. On peut le faire plus ou moins intelligemment, et on a le droit de tirer quelques leçons de la crise actuelle. Mais il est néanmoins indispensable que l’activité économique reprenne rapidement et pleinement ses droits
. » (1)

Je suis mortifiée, totalement abattue par autant d’esprits malades, étriqués, irrévocablement conditionnés, redoutables par le danger qu’ils font prendre aux êtres vivants, aux peuples et au monde. Les plus malfaisants ou les plus inconscients nient le risque colossal de la seconde vague pandémique, ou l’arrivée de nouvelles manifestations naturelles, à n’en pas douter. J’en suis réduite à souhaiter qu’elles arrivent, afin que chacun comprenne à quel point un changement profond doit advenir ; prompt, impératif, essentiel.

De manière subliminale ou non, les hommes sont sommés de reprendre leurs néfastes habitudes, destructrices pour leur environnement et meurtrières pour leurs enfants, à qui ils ne laisseront qu’un écosystème dévasté. Toute vie finira par disparaître, y-compris la leur.

Ce soir, je pleure l’avenir de ma fille. Je pare d’un triste linceul son berceau natal, et je lui en demande pardon.
Je ne suis qu’une âme parmi des milliards. Je ne peux que crier mon désespoir, espérant être entendue. Mais je n’ai que peu d’espoir…

 

 

(1) Source : « Vers une stratégie de sortie de crise », Centre patronal suisse, Service d’information, no 3284, Lausanne, 15 avril 2020. (Journal en ligne : « le Monde Diplomatique » / « monde-diplomatique.fr » )

 

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