CHAPITRE 1
Par Roman - Lien permanent
« La vieillesse ne me semble pas du tout le morne vestibule de la mort, mais comme les vraies grandes vacances, après le surmenage des sens, du coeur et de l'esprit que fut la vie. »*
17 février 2020 - Hondschoote, Hauts-de-France
Ce matin là, c’est l’agitation à « La Fleur de Lin ». Tout le monde s’apprête pour partir en escapade. La directrice de la résidence n’a pas chômé. Lors du dernier Noël, elle avait promis à quinze de ses plus motivés pensionnaires de partir à la mer. C’est chose faite. Dans moins d’une heure, il partiront pour Dunkerque rejoindre une autre maison d’accueil, pour leur plus grand bonheur.
Huit jours de vacances, non loin de l’immense plage de Malo-Les-Bains. L’air de la Manche leur fera « le plus grand bien ! ». C’est ce que Sandrine leur avait dit il y a une semaine, lorsqu’elle avait réuni tout l’équipe pour leur confirmer leur départ prochain pour une aventure plus que bienvenue.
Sandrine est adorable, affectueuse et très empathique. Elle ne manque jamais de mots gentils et de bons conseils. Elle prend souvent dans les bras et surtout, elle fait la « tournée des bisous ». Tous les soirs, elle veille à ce que chacun ne s’endorme jamais sans avoir eu droit à son lot quotidien de câlins, de tendresse et de bienveillance. « C’est très important pour bien dormir », dit-elle souvent. Et elle s’y tient. La seule chose qui peut lui faire froncer les sourcils, c’est quand les nouveaux résidents l’appelle « Madame la Directrice ».
– « Ah, non. Moi, ce n’est pas Madame la Directrice. C’est Sandrine ! », leur répond-elle toujours. « Ici, à la MARPA* je suis la maîtresse de maison. Je suis là pour veiller sur vous. Comme une maman.», rajoute-t-elle souvent avec un sourire, apaisant pour tout nouvel arrivant.
Lors de la réunion d’information, elle avait bien précisé que l’établissement où « ses petits voyageurs » devaient se rendre était situé à proximité immédiate du centre-ville de Dunkerque, non loin de la plage de Malo-les-Bains, et très bien desservi par les transports en commun ; qu’ il bénéficiait de surcroît de la proximité des services urbains dont peuvent avoir besoin les seniors : les commerces, les services administratifs, les services de soins et même le centre hospitalier, le centre médico-psychologique, les cabinets médicaux ainsi que plusieurs pharmacies. De quoi rassurer tout inquiet de nature !
Ce matin, Sandrine passe dans toutes les chambres pour vérifier que tout à chacun se prépare correctement au départ. Mais elle doit se frayer un chemin dans les couloirs de son établissement, tant ils redoublent de dynamisme et d’enthousiasme.
– « Mais c’est une véritable ruche aujourd’hui ! », lance-t-elle à la volée en entrant dans les chambres de ses résidents. « Me voilà transformée en reine des abeilles, ma parole ! »
Chaque recoin de « La Fleur de Lin » bourdonne littéralement d’activité et chaque membre de son équipe veille au grain. Il est bientôt dix heures et tout doit être prêt rapidement pour pouvoir rejoindre le bus, en stationnement devant les locaux depuis une dixaine de minutes déjà. La compagnie « La Belle Hirondelle » n’attendra pas indéfiniment !
En entrant dans l’espace de vie de son « Mi-mile », comme elle le surnomme souvent avec affection, elle le découvre aux prises avec Valérie, l’une des aide-soignantes de jour.
– « … Vous les avez mis où la dernière fois ? », demande Valérie à Emile, qui peine manifestement à boucler sa valise.
– « Bonjour mon Mi-mile. Bonjour Valérie , lance joyeusement Sandrine en passant la porte.
– Bonjour, Madame la Directrice », lui répond Emile avec un sourire taquin. Puis, se tournant de nouveau vers Valérie, il lui montre du doigt une pile de pull-overs déjà pliés dans son bagage.
– « Là. Y a des lunettes de soleil avec »
– « Oh, mais c’est qu’il a mis son beau chapeau aujourd’hui, mon Mi-mile», plaisante Sandrine en lui ôtant son couvre-chef de la tête et en le lui replacant légèrement sur le front.
– « C’est pas un chapeau, c’est une casquette ! », réplique Emile, pour qui chaque élément d’une tenue soignée doit être énoncé par le bon mot.
– « Et ben ? Elles sont là toutes les deux, là, vos lunettes. Dans la pochette verte !», poursuit Valérie, qui vient de retrouver les lunettes de vue qu’Emile ne sort que dans les grandes occasions.
– « Mais c’est qu’il a pris son parfum, en plus ; continue de taquiner Sandrine.
– Ben ouaih, c’est du savon en mieux, ça », répond Emile en lui adressant un sourire accompagné d’un clin d’oeil.
– « Et ils sont où les tricots de corps ? », reprends Valérie tout en continuant de vérifier le contenu de la valise. « Ils sont là ?
– Non, non, non…, y sont pas là. Y sont de l’autre côté», répond Emile.
– « Bon, allez, je vous laisse terminer vos préparatifs », précise Sandrine en se redirigeant vers la porte. « Je continue ma tournée. Rendez-vous au bus dans quinze minutes, d’accord ? Je compte sur vous, hein ?
– Oui, oui, oui », confirme Emile en faisant des signes de la main comme pour la chasser de la pièce.
A peine le pied hors de la chambre, Sandrine manque de buter dans le fauteuil de René, surnommé Néné par ses « copains de retraite », comme il les appelle souvent.
– « Attention, j’arriiiiive », lance René à tout-va dans le couloir principal, alors que l’une des aide-soignantes pousse le véhicule à roulettes dans lequel il est assis.
Toutes mains levées, les bras au-dessus de la tête, il crie à tue-tête : « Tut-tuuut ! Faites gaffe, c’est moi que v’la ! »
– « Eh bien, he bien Néné. Soyez attentif à ne blesser personne dans votre course des vingt-quatre heures du Mans », lui lance Sandrine tout en échangeant un regard avec sa collègue de travail, transformée pour l’heure en co-pilote.
Après avoir donné les dernières consignes, prodigué les derniers conseils, partagé les dernières plaisanteries, fait à plusieurs reprises le tour des chambres et vérifié auprès de son équipe que rien n’avait été oublié, Sandrine s’apprête à faire l’appel afin de vérifier que toutes ses ouailles sont bien présentes au point de rencontre. Toutes semblent être réunies, surexcitées à l’idée de grimper dans ce splendide bus de tourisme, d’un blanc immaculé, sur lequel figure une magnifique hirondelle bleue.
Valérie coupe Sandrine dans son élan avant même qu’elle ait eu le temps de prononcer le premier nom en haut de sa liste :
– « Non mais, hé. Regardez un peu comment il monte dans le bus, Monsieur Faille. Un vraie gazelle ma parole.
– Et ouaih !», répond René du bord de la seconde marche du bus. « Une vraie gazelle, Léger comme une plume ! » ajoute-t-il, rendant toute l’assistance hilare au bon mot qu’il vient de faire en se servant du nom de famille de Gaston, son plus vieil ami.
Sandrine relève la tête de sur son cahier et lance à l’attention de René :
– « Mais vous êtes intenable ce matin, Néné ! Voulez-vous bien redescendre afin que je fasse l’appel correctement ?
– Ben j’veux bien ; ouin, ouin, ouin. Mais j’peux point ; ouin, ouin, ouin », répond-il en reprenant pour partie la célèbre chanson interprétée par Annie Cordy. De nouveau, hilarité générale.
Après avoir enfin pu calmer l'agitation de sa petite troupe et coché tout le monde présent, Sandrine et quelques-unes de ses auxiliaires de vie montent à bord du spacieux véhicule de tourisme. Elle compte une dernière fois, afin de s’assurer que ses quinze vacanciers sont bien tous montés à bord et prêts à partir à l’aventure.
– « ….13, 14, et 15 ! C’est bon ; tout le monde est là ! Ouaiiih ! », confirme-t-elle en levant les bras vers le ciel.
– « Ah, bien. Bravoooo. Ouaiiih », reprennent à l’unisson tous les retraités comme des collégiens en partance pour la colonie de vacances.
Des « Bon séjour à tout le monde ! Profitez bien ! » sont envoyés à toute volée de part et d’autre des vitres du bus, alors qu’il s’ébranle doucement. L’équipe restée devant l’entrée principale de la Maison d’Accueil agite bien haut les bras et les mains. À l’intérieur du large et confortable véhicule, la « Rolls Royce du voyage » comme vient de le baptiser René, c’est l’euphorie générale et les chansons commencent à fuser. Seul Emile reste un peu sur la réserve. Il repense à ce que leur avait annoncé Sandrine pendant le regroupement à La Fleur de Lin, quand elle leur avait expliqué qu’ils allaient être accompagnés de jeunes femmes durant ces quelques jours. Cela l’avait troublé, lui qui depuis Henriette n’avait plus guère d’entrain à croiser quiconque, si ce n’était ses copains de chambrée comme s’amusait à le dire René. Fallait-il vraiment qu’il soit obligé d’aller à la rencontre de ces inconnues ? Est-ce que la présence soudaine de toute cette jeunesse n’allait pas réveiller en lui des souvenirs douloureux ?
* Citation de Marcel Jouhandeau - Écrivain français (1888 - 1979)
* MARPA : Maison d’Accueil Rurale pour les Personnes Âgées