J – 72 : « Fiction contre réalité »
Par JOURNAL DE BORD d'une « écrivailleuse » hystérique - Lien permanent
26 mars 2020 – Chambre à coucher – Domicile familial – 06h00
Je me réveille en sueur après un terrible cauchemard. L’enfance difficile de Zia fait écho avec la mienne et stimule mon inconscient déjà suractif.
Je jette un œil encore hagard sur mon mari qui dors du sommeil du juste et ne s’est rendu compte de rien. Je reste un moment à l’observer, tout en l’enviant. Un sommeil de cette qualité, c’est de l’or en barre ! Une pointe de jalousie vient me titiller sous cape. Moi qui ai toujours mal dormi, je trouve navrant que les dormeurs invétérés ne puissent tout simplement partager leurs aptitudes avec les insomniaques chroniques.
Toute à ce navrant constat, je me frotte le visage, m’étire et me lève. La récente lecture d’un article ayant pour sujet les sueurs noctures me revient en mémoire. La transpiration soudaine et excessive durant la nuit n’est pas véritablement ce que l’on peut qualifier de « glamour ». Je me rappelle que ce symptôme courant peut apparaître de manière ponctuelle ou se répéter plusieurs nuits de suite. Ajoutons à cela les coups de chaleurs de la pré-ménopause, et je suis bonne pour la maison de retraite !
Certains éclaircissements me reviennent, précisant notamment que d’une manière générale, les sueurs nocturnes sont la conséquence d’une stimulation du système nerveux sympathique, donc de l’un des systèmes nerveux autonomes de l’organisme. (1) Me voilà rassurée sur le fait que j’en suis manifestement toujours pourvue. Mais associé à des troubles récurrents du sommeil, il cesse de m’être d’une quelconque utilité. J’en conclus que pour m’éviter de nouveaux désagréments conjugaux, l’excitation à l’origine de ma sudation doit impérativement être associée aux causes profondes qui la provoquent. Là se situe mon problème ; je n’ai pas la moindre envie de rouvrir la boîte de Pandore. *
Je passe par la salle de bains et m’arrose copieusement le visage avec de l’eau bien fraîche. C’est à ce moment précis que le miroir entre malencontreusement dans mon champ de vision. Bon sang, tu ressembles de plus en plus à un « zombie ». Ton mari va finir par penser que sa passion pour « the Walking Dead »* t’impacte de trop !
Je descends lentement l’escalier et retrouve avec satisfaction la cuisine. Ma dose quotidienne de caféine va pouvoir jouer son rôle, bien qu’elle n’ait aucune espèce de faculté digne d’influer sur mes nerfs surmenés. Qu’importe, l’invitation au délassement contenue dans son seul arôme me suffit. C’est un petit bonheur dont je ne me passerais sous aucun prétexte, surtout en ce moment. D’autant plus que si j’ai la moindre chance d’oublier le bouleversement de mon cycle hormonal, ou encore l’hyperactivité de ma thyroïde, je ne vais pas me priver.
Tout en jubilant à chacune des gorgées bouillantes que je déguste, j’apprends par le dernier bulletin d’information que le chef de l’État se rend à Mulhouse afin d’en visiter l’hôpital militaire, rapidement monté pour accueillir dans l’urgence trente lits supplémentaires. Cela m’apparaît presque affligeant, sachant que par ailleurs les tentes d’autres hôpitaux de campagne viennent d’être dressées, avec une capacité d’accueil bien plus importante.
Choisir justement ce lieu pour annoncer à la France que le confinement va très probablement se prolonger d’une quinzaine de jours me semble proche du grotesque. Quel intérêt, si ce n’est de continuer à adresser au pays le message subliminal que son Président demeure chef des armées, et que nous sommes indubitablement « en guerre » ?
Le « brossage » maladroit adressé aux soignants, face caméra, rique fort d’être mal perçu par les combattants de la première ligne. La quasi-totalité du discours à venir circule déjà sur les plateaux de télévision ainsi que sur toutes les ondes. Les médias tentent de nous avertir que le gouvernement a pris conscience de la valeur exceptionnelle du personnel de santé, et que l’on pourra en découvrir toute la « sincérité » en direct, dès vingt heures ce soir.
En attendant cette apparition proprement mise en scène, je remonte une à une les marches de l’escalier menant au premier étage. L’intensité du frottement de mes babouches sur le sol me renseigne instantanément sur le sentiment de déception qui m’envahit, face à l’évidente déliquescence dans laquelle sombre notre pays.
Je me cale devant l’écran plat de mon ordinateur, devenu assurément mon plus fidèle compagnon de cellule ; puis embraye tout de go sur la lecture des articles glânés la veille sur « le spasme du sanglot ». Même désagréable, cette expérience vécue par ma toute jeune protagoniste saura m’amener vers une tension autre que celle véhiculée « non-stop » par le journalisme moderne.
La fiction contre la réalité. Quel combat plus noble que celui-là ? Est-il possible de surfer sur la vérité, avec pour seul objectif narratif d’entamer une lutte contre des faits vécus comme mutilants ?
Forte de cette question fondamentale, je me lance à corps perdu dans la rédaction de mon chapitre cinq...
(1) Source : www.passeportsante.net : « Sueurs nocturnes : tout savoir sur la transpiration la nuit » - Rédaction : Quentin Nicard, journaliste scientifique (Septembre 2017)
* Boîte de Pandore : légende de la mythologie grecque - « Pandore apporta dans ses bagages une boîte mystérieuse que Zeus lui interdit d'ouvrir. Celle-ci contenait tous les maux de l'humanité, notamment la Vieillesse, la Maladie, la Guerre, la Famine, la Misère, la Folie, le Vice, la Tromperie, la Passion, l'Orgueil ainsi que l'Espérance. »
* « The Walking Dead » : série TV d'horreur et dramatique américaine, adaptée par Frank Darabont et Robert Kirkman, créateur de la bande dessinée originale, précurseuse de la série télévisée.